C’est un temps long, nécessairement long.
Il dort très peu. Il a du mal à s’endormir. Il se réveille régulièrement durant la nuit. Il a du mal à se rendormir. Il ne dort plus dehors cependant. Il a un toit. Il mesure la chance qu’il a. Un toit à lui. Pas une piaule dans un centre d’hébergement., non. Pas une nuitée du 115 qui ne répond plus, non. Un toit, oui. Un vrai, oui. Un petit appartement en banlieue parisienne, oui. A deux pas de Paris où il a encore ses habitudes. Encore ses obligations. Encore beaucoup de souvenirs. Un projet aussi. Un espoir de se réinsérer complètement aussi.
C’est un temps long. Nécessairement long. Déprimant, fatiguant. Toutes ses démarches à entreprendre pour à nouveau rentrer dans les cases des administrations pour lesquelles vous n’existiez plus depuis une dizaine d’années. Il faut tout justifier, répéter inexorablement la même histoire, son histoire. Voir plus loin que les regards souvent inquisiteurs, méprisant aussi parfois.
Et faire tomber le mal : la fièvre des addictions. Se raccrocher à quelque chose, coûte que coûte. Vivre au quotidien au départ puis, peu à peu, se donner des objectifs, graduellement. Il a conscience de tout cela. Il en a l’envie même si parfois il manque de force. Pas de courage, non. Juste de force.
Il sait, il s’en persuade en tout cas, qu’un matin se lèvera moins brumeux que les autres. Qu’il n’aura presque plus de buée dans les yeux, qu’il n’aura plus les mains qui tremblent, qu’il n’aura plus des jambes de coton. C’est un temps long. Nécessairement long de sortir définitivement de la rue. Il garde en mémoire ses compagnons de misère morts dans la rue. Il garde en mémoire aussi celles et ceux qui sont morts suite des conséquences de la vie à la rue, morts à l’hôpital mais aussi chez eux. On n’en sort pas indemne.
C’est un temps long. Nécessairement long.